Samedi soir, le rêve de l'Océan.

                     En redescendant l’escalier, en traversant le salon et le jardin, Michael avait du mal à sentir dans quel état se trouvait vraiment Simon.
Il ne regrettait rien mais il semblait fatigué. Un peu moins solide et sûr de lui qu’auparavant.
Simon, par contre, se permit quelques compliments à l’égard de son vieux pote.
« C’est bizarre. Tu as l’air plus serein que d’habitude. Plus souriant alors que tu donnes toujours l’impression de fuir quelque chose. »
« J’essaie juste de me poser moins de questions »
Mais c’était vrai. Michael se sentait plus fort que d’habitude.
Grâce à quoi ? Au monde des rêves ? Non, c’était plutôt une source d’incertitudes.
Grâce à qui ? Grâce à sa mère. Grâce à Kitty. Peut-être grâce à Pinter Zymot et à Simon aussi.
Il se sentait plus fort du regard des autres lui qui, pourtant, s’était donné pour mission d’être le plus transparent possible.
Des autres ? Pas de tout le monde mais de quelques personnes qui avaient l’air de compter sur lui. Il avait accepté ces regards un peu malgré lui mais il en avait retiré une énergie nouvelle. Une autre manière de considérer le monde et ses incertitudes.
« Simon ne veut compter que sur lui-même. Il a toujours avancé comme ça. Moi je sais que, seul, je n’avance à rien. Chaque méthode est à double-tranchant. On verra bien... »
Agir. Attendre mais ne pas subir. S’adapter aux situations.
Michael rentrait chez lui. Il se sentait fort alors qu’il n’avait, pourtant, aucun défi à relever.
                    Il discuta un moment avec sa mère des impressions mitigées que Simon lui avait laissées. Du visage épuisé de sa mère. Ils se posèrent des questions sur la suite de leurs relations. Ils n’étaient pas du tout d’accord sur ce sujet.
Sur son ordinateur, il rédigea un long message destiné à Kitty pour lui expliquer tout ce que Simon lui avait révélé au sujet de Frank. Et aussi la promesse qu’il lui avait faite.
Il termina en lui rappelant que c’était à son tour de téléphoner. Il reçut une réponse à 19h36.


« Pa d rzo. 1 seul ordi pr tous.
J pensa t. Bonnuit. Kit. »


Michael partit dans sa chambre vers 20h30.
Contrairement à sa mère, il n’aimait pas regarder la télé. Maria les avait appelés pour les inviter chez elle le lendemain. Deux heures de route mais bon... Tout allait bien ce soir-là.
Sur son ordinateur, Michael lança le nom et le prénom de son père sur quelques moteurs de recherches histoire de voir ce qu’il était possible de savoir à son sujet. Il se coucha vers 22 heures.
Il réfléchissait encore. Où en était-il ce soir-là ? Etait-il à la fin d’une aventure ou déjà au commencement d’une autre ? Que fallait-il faire ?
Il éteignit la lumière. Une souris passa devant ses yeux.

 

 

« J’aimerais bien retourner sur la montagne. Je me sentais bien là-bas. »
« Il vaudrait mieux que tu crées ton propre espace. »
« Je le voudrais vert. Une belle prairie et un grand ciel bleu. Avec quelques arbres. »
« Et une rivière ? »
« Elle coulerait des montagnes que je verrais au loin. Elle traverserait les forêts puis elle continuerait paisiblement au milieu de la prairie. »
« Et qu’y aurait-il au-delà des montagnes ? »
« Un désert. Puis des volcans. C’est pour ça que, la nuit, on pourrait voir des lumières rouges apparaître au loin dans le ciel. »
« Et la rivière ? »
« Pas un torrent. Une rivière large et calme. Eternelle. Qu’on pourrait regarder passer pendant des heures. Que l’on pourrait suivre et qui nous emmènerait jusqu’à... l’océan ! »
« Oui. Descendre la rivière jusqu’à l’océan. »
« Que c’est beau ! Quelques rochers, le ciel et les vagues jusqu’à l’infini... Je vais construire une maison ici. Quelque chose de discret, de pas trop grand, où je pourrais m’installer à l’abri du vent et écouter la pluie venue de l’océan. »
« L’océan, le vent, la pluie. Une petite bulle. »
« Je voudrais aussi qu’il y ait un phare là-bas. De l’autre côté. »
« Pourquoi ? Il va y avoir des bateaux qui passent ? »
« Pourquoi pas ? Et puis ça complèterait bien le décor. Oui, ça devrait suffire. »
« C’est un havre de paix. »
« C’est un endroit où les événements et les gens peuvent venir à moi mais où je me sentirai toujours en sécurité. »
Michael partit ensuite faire un tour dans la prairie. Il marchait dans l’herbe épaisse. Il la sentait grouillante de vie. Le ciel aussi. La rivière. Les montagnes au loin. L’océan.
Le vent léger. Les bruits. Les odeurs.
Il aperçut alors une croix plantée au loin. Il s’approcha d’elle et il attendit qu’un hibou vienne se poser derrière lui.
« - Salut Simon.
- Salut vieux pote ! Ca a bien changé ici depuis la dernière fois. C’est joli... C’est la mer qu’on entend au loin ?
- C’est l’océan. Viens, je vais te le montrer. Inutile de te jeter dans la rivière.
- Ca ne me dérangerait pas mais bon... »
Les deux amis marchèrent côte à côte en direction du rivage. Ils ne le voyaient pas encore mais ils savaient qu’il existait. Le vent venait de là-bas.
« - Alors, d’où arrives-tu ?
- Je viens de passer un sale quart d’heure avec Betty. J’espère bien que l’histoire est réglée. Je n’ai jamais été autant insulté de ma vie.
- Dans la vraie vie, ça aurait sûrement été pire. Elle t’aurait chopé par les... Pour te faire avouer.
- Peut-être. Tu sais, j’ai vraiment appris des choses extraordinaires avec Bertrand Pratzen. Mais j’ai quand même besoin de me reposer. C’est l’endroit idéal ici.
- Tu ne t’es pas construit toi-même ton propre havre de paix ?
- Ce n’est pas vraiment à ça que je pensais ces derniers temps... Mais tu as raison, il faudra que j’y réfléchisse.
- Voilà, on est arrivés.
- Que c’est beau ! Pourtant, Michael, il va bientôt se passer des choses dans le monde des rêves.
- Pourquoi ?
- Nous ne sommes pas seuls. De plus en plus de personnes arrivent, s’installent et communiquent entre elles. Elles se comprennent ou se disputent. Des univers se créent, se connectent, d’autres basculent... C’est un système très complexe dans lequel les intentions des gens ne sont pas toujours très claires.
- Celles de Bertrand Pratzen, par exemple ?
- Par exemple, oui. Mais il n’est pas seul.
- Moi je ne suis pas ici pour prendre un pouvoir ou écraser quelqu’un.
- Non mais nous n’aurons peut-être pas toujours le choix.
- Alors on verra bien.
- Moi, j’ai déjà vu.
- Alors, tu me raconteras. Kitty nous rejoindra bientôt.
- Kitty ? Tu lui as montré le chemin ?
- Pas encore mais je lui en parlerai dès que possible. Il faudra que je trouve des repère : le phare et la maison, peut-être.
- Tu devrais plutôt trouver des objets plus précis et plus particuliers.
- Je vais y réfléchir.
- Tu veux que je...
- Non, ça ne te regarde pas.
- D’accord.
- Simon ? Comment est-ce que je peux être sûr que tu es bien avec moi ? Que je ne suis pas en train de parler seul ?
- Avec l’habitude, en apprenant à connaître tes propres rêves et ton « système de construction », tu feras de plus en plus facilement la différence. Mais la seule méthode indiscutable reste de pouvoir en parler ensemble, une fois éveillés, le lendemain. A condition que l’on se souvienne des mêmes choses...
- Alors on verra ça demain... Savoir se reconnaître soi-même et se souvenir de ce que l’on a vu. Ce sont les clés pour se repérer dans le monde des rêves.
- C’est bien dit. Bertrand Pratzen, lui, utilise un vocabulaire beaucoup plus technique... Il faut aussi savoir maîtriser ses émotions pour contrôler ce qui se passe, garder l’équilibre... Et puis tout se complique lorsque d’autres personnes interviennent... Les possibilités sont infinies, Michael, mais nous ne sommes pas seuls.
- Pour l’instant, nous le sommes encore. Alors, profitons-en.
- On va se baigner ?
- Non. On ne fait rien et on attend.
- On profite.
 »

 

                        Ce dimanche, Michael se réveilla bien après 10 heures du matin. Il se souvenait de l’océan, de la maison, de la prairie, de Simon...
Les souvenirs revenaient doucement les uns après les autres et, non loin de lui, son téléphone se mit à clignoter.
Il se leva. Il avait reçu un message de Simon. A 9h27.
« Les possibilités sont infinies mais nous ne sommes pas seuls.
Il va bientôt se passer des choses. Bonne journée mon pote. »
Le monde des rêves était en place. Il n’y avait plus qu’à y retourner.


 

Retrouvez bientôt Michael, Simon et Kitty dans la
seconde partie de leurs aventures.
D’ici-là, imaginez vous-même la suite...

“- Que ressentez-vous au moment de vous endormir ?
- J’ai l’impression qu’une trappe s’ouvre dans le ciel et que je vais grimper au-dessus des étoiles...
- Cela ne vous fait pas peur ?
- Non. Pourquoi ?
- Quel est votre rêve préféré ?
- C’est quand j’ai l’impression de découvrir seul une terre inconnue... Comme une nouvelle planète.
- Et des cauchemars ?
- Parfois... Quand je rêve, j‘ai peur du noir.
- Y a-t-il des endroits dans lesquels vous revenez souvent ?
- Ce ne sont jamais vraiment les mêmes endroits. Ou alors je ne m’en aperçois pas tout de suite...
- Et qu’y a-t-il au-delà du ciel ?
- Il y a les cent ciels.