Samedi après-midi, explications...

                     Michael regarda le numéro d’appel s’afficher et clignoter sans réagir. Il était 15h24.
Tout se passait à l’intérieur et les sentiments qui le traversaient n’étaient pas vraiment positifs. Suspicion. Rancœur...
« Un message suffira largement pour reprendre contact. »
Le téléphone se tut. Michael appela son répondeur à 15h30 précise.
« Salut vieux pote, c’est moi. Je suis de retour chez moi. Je pense qu’on a des choses à se dire, non? Allez, rappelle-moi ou passe me voir quand tu veux. »
Michael aurait aimé ne pas rappeler et rester chez lui.

                       Il arriva chez Simon vers 17 heures. Il sonna et c’est sa mère qui vint lui ouvrir.
« - Simon m’a dit que je pouvais passer le voir.
- Oui, bien sûr. »
Elle l’accueillit avec le sourire mais son visage semblait décomposé par la nervosité et, sûrement, le manque de sommeil des derniers jours. Ses mains tremblaient un peu.
Michael traversa le jardin puis le salon. Il monta l’escalier et suivit le couloir jusqu’à la chambre de Simon.
Il entra sans frapper. Simon était assis devant son ordinateur. Il se retourna et ils se regardèrent sans rien dire avec, malgré tout, un léger sourire au lèvre.

 


« - Tu as vu dans quel état tu as mis ta mère ?
- Elle et les autres. Si quelqu’un doutait encore que je sois un égoïste... Je pense avoir convaincu tout le monde à ce sujet.
- Ou seulement ceux qui savent ce qui s’est vraiment passé. Pour les autres, tu passes encore pour une victime.
- Qui peut se douter de la vérité, d’après toi ?
- Moi, Bertrand Pratzen évidemment. Pinter Zymot, sans doute. Tes parents, peut-être...
- Pour Pinter Zymot, je ne pensais pas que tu lui donnerais autant de détails sur nous. J’ai eu un mal fou à me dépêtrer de ses questions.
- Comment as-tu fait ?
- J’ai fini par jouer l’imbécile accablé qui ne se souvenait pas de tout ce qui s‘était passé. Ca ne lui a pas plu du tout. Je m’en suis sorti avec quelques menaces et, surtout, une obligation de suivi psychologique.
- Pourquoi pas...
- Tu es intéressé ? Prends ma place.
- Dans tes rêves.
- Ah, puisque c’est toi qui abordes le sujet... Alors, qu’est-ce que tu as pensé de mes petites démonstrations ?
- La montagne, la prairie, le volcan, le désert...
- Surtout la prairie. J’ai été impressionné par ton rêve du volcan... Par contre, la nuit dernière, je n’étais pas vraiment disponible. Tu t’es débrouillé tout seul.
- J’ai été traqué par la voix de Bertrand Pratzen. Un vrai cauchemar.
- Ah ?... ce n’est pas impossible mais ça m’étonnerait un peu de sa part... Tu sais, parfois, on peut créer soi-même l’illusion d’une autre personne.
- C’est ce que je me suis dit. Mais c’est quand même un personnage inquiétant.
- Oui, très efficace mais inquiétant. Je n’étais pas mécontent de devoir me séparer de lui dans la journée. Quand j’ai compris que la police l’avait eu, j’ai même préféré attendre un peu pour que l’officier Zymot puisse s’occuper de lui.
- Et je pense qu’il en a profité à fond. Tu savais que ça faisait plus de six mois qu’il le cherchait ?
- Pratzen m’avait parlé de lui. Il s’en méfiait beaucoup. Il le voyait presque partout et il ne voulait jamais rester longtemps au même endroit. Je l’ai croisé ce matin, au commissariat, entre deux salles d’interrogatoire.
- Pratzen ?
- Oui et il m’a lancé un drôle de mauvais regard. Il savait que j’avais tardé à réapparaître. Il doit vraiment m’en vouloir.
- En tout cas, il ne pourra plus agir aussi discrètement qu’avant. Je ne pense pas qu’il revienne de sitôt par ici.
- Ici, non. Mais ailleurs ? Le voyage ne fait que commencer, Michael.
- A nous de le préparer correctement.
- Alors tu me suis ?
- Te suivre... Disons plutôt que je viens avec toi.
- Tu ne le regretteras pas. Dans ce monde, les possibilités sont infinies.
- Oui mais nous ne serons sans doute pas seuls. Et il faudra se méfier de nos propres illusions.
- Je vois que tu as déjà très bien compris les données du problème. Félicitations.
- Merci mais j’imagine que tu gardes encore quelques petits secrets d’avance.
- Peut-être...
- Il y en a quand même un que tu dois m’expliquer maintenant.
- Si tu veux. Lequel ?
- Celui de Frank.
- Frank ?
- Oui, l’histoire du type que Betty rencontre sur le réseau, qu’elle retrouve la nuit, qu’elle laisse entrer chez elle et qui, finalement, utilise ton portable pour dire qu’il ne viendra pas.
- Oups... Il y avait mon numéro sur le message ?
- Oui, ton numéro sans abonnement... Mais Betty m’a juré que ça ne pouvait pas être toi.
- Et bien, Frank est simplement un pseudonyme que j’ai pris pour dialoguer avec Betty sur un forum où je savais qu’elle allait régulièrement. Une sorte d’avatar pour connaître un peu mieux l’intimité d’une fille qui me plaît beaucoup. Ca se fait assez souvent... Et elle y a cru, c’est tout.
- Oui et, ensuite, tu es venu la chercher en voiture de sport, tu l’as invitée dans des restos chics et tu as couché avec elle en te faisant passer pour un mec de trente ans. C’est ça ? C’est fou tout ce que tu peux faire avec un pseudo.
- Ca, c’est un peu plus compliqué...
- D’où les explications que je te demande !
- Je ne sais pas si tu vas beaucoup apprécier la réponse... Disons que, à la base, Frank n’existe pas. C’est un avatar.
- Si, il existe puisque Betty sortait la nuit pour le retrouver.
- La nuit, Betty ne sort pas de chez elle. Elle dort. Et quand elle dort, elle rêve de Frank.
- Et, le matin, elle ne fait plus la différence entre les rêves et la réalité. Ca peut m’arriver aussi pendant une dizaine de secondes...
- Oui mais on peut aussi renforcer le phénomène.
- Quoi, pendant une minute ? Une heure ?
- Bon, tais-toi et écoute. Frank n’existe pas. C’est un type que j’ai inventé au fil des discussions avec Betty et que j’ai ensuite... transposé dans ses rêves. D’accord ? Elle ne l’a jamais vu mais j’ai réussi à la convaincre qu’il existait vraiment et elle en est tombée amoureuse. Qu’est-ce que tu penses de ça ?
- Ce n’est pas possible. Pas à ce point-là.
- Et pourtant il suffit de bien connaître la psychologie de la personne et, surtout, qu’elle ne se doute absolument de rien. Après, le résultat est variable. Pour Betty, je n’imaginais pas que ça marcherait aussi bien... Ca m’a pris trois mois d’approche au début mais, à la fin, c’était d’une facilité déconcertante. Presque effrayante. Elle ne demandait qu’à me suivre. Enfin, à suivre Frank. Pour cette expérience, c’est Pratzen qui m’a expliqué la démarche à suivre. C’est d’ailleurs pour constater le résultat de mes manipulations qu’il a décidé de venir me voir. Pour ça et pour me proposer d’autres petits tests.
- C’est pour ça que vous êtes allés chez elle le premier soir.
- Oui, je lui avais demander de me laisser les clés à un endroit précis. Et elle l’a fait. Victoire. Lui-même était impressionné. Mais, le lendemain, il a compris que la maison était surveillée par les flics. Il a fallu aller ailleurs.
- Où ça ?
- Il vaut peut-être mieux que tu ne le saches pas.
- Pourtant vous avez bien essayé de m’enrôler avec vous, non ?
- Oui mais de manière plus conventionnelle. J’ai insisté pour qu’il te rencontre personnellement.
- Tu lui as fait prendre des risques. C’est comme ça qu’il s’est fait interpeller. Juste devant moi.
- Je sais mais bon... Je n’étais pas complètement rassuré d’être seul avec lui.
- Au fond, pendant plus de trois jours, tu as fait exactement ce que tu avais décidé de faire.
- C’est le propre d’un égoïste... Ca valait quand même le coup, non ?
- Parles-en avec ta mère et avec Betty. Tu verras ce qu’elles en pensent.
- Je sais...
- Je ne suis pas sûr que tu saches vraiment. Ta spécialité, c’est le monde des rêves.
- Oui et ce n’est pas simple. Il y a toujours des sacrifices à faire quand on veut progresser. Aller plus loin que les autres.
- Entre deux sacrifices, essaie quand même de rattraper les choses... Pour ta mère je ne sais pas mais, pour Betty, ça serait bien que Frank lui rende une dernière visite pour mettre fin proprement à leur histoire. Comme un gentleman.
- Je te promets d’essayer ce soir mais pas de réussir. Elle ne sera peut-être plus aussi disposée à se laisser mener.
- Essaie aussi de ne pas t’enfermer tout seul là-dedans. Il y a de quoi devenir fou. Pinter Zymot pense qu’au moins quatre jeunes qui ont disparu avec Pratzen se sont suicidés peu de temps après.
- Je sais, il me l’a dit aussi. C’est pour ça que c’est encore plus important que je puisse le partager avec toi. Mais, crois-moi, on pourra aller très très loin tous les deux.
- Loin mais pas trop vite. Et à ma manière aussi.
- D’accord. Quelle heure est-il ?
- Bientôt 18 heures. Je vais y aller. Ne reste pas enfermé ici. N’oublie pas que tes parents t’ont déjà attendu très longtemps cette semaine.
- D’accord. Allez, je te raccompagne. »

 

 

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