Vendredi matin, l'arrestation de Bertrand Pratzen.
Pendant plus de trois heures, Michael vit des volcans exploser devant ses yeux ouverts.
Dans le noir. Appeler Pinter Zymot. Lui permettre d’arrêter Pratzen lors de leur rendez-vous. Remonter jusqu’à Simon. Etre le héros de cette affaire... Cette fois, cela semblait si simple.
Et pourtant, à 7h15, il n’avait toujours appelé personne.
« Donc, tu ne fais rien. »
« Non, c’est différent. Je paie pour voir. »
« Cela revient au même. »
Et, comme au poker, le prix de la partie fut élevé. Insomnie. Doutes. Angoisse. Sueurs.
Cette fois, Michael se jura de préparer au mieux sa rencontre avec Pratzen. Il n’y aurait plus d’effet de surprise.
Il essaya d’imaginer toutes les questions possibles. Tous les pièges. Toutes les réponses.
Que voulait Pratzen pour prendre le risque de le rencontrer à nouveau ? Sans doute le convaincre de participer à ses tests. Quoi d’autre ?
Comment réagir ? Que demander en échange ?
Il fallait exiger de voir Simon. Ou, au moins, de pouvoir lui parler au téléphone. Oui, il fallait exiger une preuve de vie. Pour pouvoir ensuite rassurer tout le monde. Voilà. Agir. Ne pas attendre.
A 7h45, tout le scénario de la rencontre était prêt. Les dialogues aussi. Et puis un doute, pendant le petit-déjeuner.
« Et si Pratzen était vraiment un tueur ? »
« Et si Simon était déjà... »
Mort ? Cette idée commençait-elle à exister dans son esprit ?
« Qui est vraiment ce type ? »
« Que fait-il ici ? Que veut-il ? Jusqu’où est-il prêt à aller ? »
Tout était à refaire. Ou plutôt fallait-il prévoir l’extrême.
Pratzen pouvait-il le menacer avec une arme ? Michael pouvait-il se défendre ?
Etre à la hauteur. Doutes. Sueurs. Il quitta l’appartement à 8h16. Un peu en retard. Il avait mal au ventre.
La rue, le croisement. Traverser le boulevard. Remonter la piste cyclable. Le dernier croisement avant le lycée. La brasserie.
Quelle heure ? Il avait oublié de prendre sa montre. Il valait mieux ne pas sortir son téléphone.
Un homme de dos. Ce n’était pas lui.
Attendait-il à l’entrée ou au fond de la brasserie à la même table ?
Il arriva sur la terrasse. Il reconnut Pratzen assis au comptoir. Un café. L’air détendu.
Leur regard se croise. Pratzen prend sa tasse de café et s’installe à une table, un peu à l’écart. Michael le suit et s’assoit face à lui.
« - Où est Simon ?
- Bonjour Michael. Tu as l’air épuisé ce matin.
- Où est Simon ?!
- Ne lève pas la voix ou je devrai partir tout de suite. Je t’ai dit que, dans la journée, je ne savais pas où il était. Aujourd’hui comme hier.
- Prouvez-moi que vous ne l’avez pas tué.
- En tout cas, il n’a pas eu une très bonne idée. Au revoir, Michael. »
Bertrand Pratzen recula doucement sa chaise.
« Restez assis ! »
Il ne le regardait même plus. Que fallait-il faire ? Vite !
« Restez assis s’il vous plaît, monsieur Pratzen. »
Cette fois, il arrêta son mouvement. Il réfléchit un instant et se rassit face à Michael. Sans le regarder.
La voix qui venait de se faire entendre dans la brasserie était celle de Pinter Zymot.
Michael se retourna et reconnut l’officier de police.
« Pardon, jeune homme. »
Il prit place à la table, à côté de Michael. Les deux hommes se regardaient. Michael n’existait plus vraiment.
« - Pourquoi étais-tu si nerveux, puisque tu avais prévenu la police ?
- J’aurais largement préféré qu’il nous prévienne, n’est-ce pas Michael ? A quoi as-tu voulu jouer ? Finis d’y réfléchir et tu auras toute la journée pour nous expliquer ça en garde en vue. Ceci dit, ta question était intéressante. Alors, monsieur Pratzen, où se trouve le jeune Simon ? Inutile de vous lever cette fois, je ne suis évidemment pas tout seul. Discutons un petit peu et, si vous êtes d’accord, nous sortirons discrètement.
- Vous êtes toujours aussi poli avec les personnes que vous interpelez ?
- En public, oui. Mais je vous avoue que cette affaire me rend assez nerveux. Pouvez-vous me faire gagner du temps avant que je n’engage la procédure « normale » ?
- Désolé, je n’ai absolument rien à vous dire. Je suppose que notre conversation est enregistrée, n’est-ce pas ?
- Toujours aussi paranoïaque, à ce que je vois.
- Et vous ? La flatterie est-elle simplement une tactique d’approche ou est-ce votre seconde nature ?
- Eh bien, disons que vous êtes particulièrement méfiant et que vous savez effacer les traces que n’importe quel individu laisserait derrière lui. J’ai donc dû utiliser des méthodes un peu plus « archaïques » pour vous localiser.
- Cela fait exactement trois jours que vous me traquez comme un animal alors que vous n’avez absolument rien à me reprocher. Etant quelqu’un de prudent, vous comprendrez que je ne dirai rien sans la présence de mon avocat. D’ici-là, pour peu que Simon soit réapparu, vous n’aurez plus qu’à me relâcher avec les excuses de vos supérieurs.
- Effectivement, il vaudrait mieux pour vous que Simon réapparaisse vite. Vite et en bonne santé. D’ici-là, l’urgence de la situation m’autorise à pratiquer légalement toute une série d’investigations à votre sujet.
- Elles ne vous mèneront à rien.
- Détrompez-vous ! Je vais en apprendre bien plus sur vous en quelques heures de garde à vue qu’en six mois d’enquête. Tout va y passer : identité, adresses, revenus, communications... Rien que le fait de pouvoir récupérer cette tasse à café sur laquelle vous avez posé vos doigts et vos lèvres me remplit de satisfaction... Mon premier objectif reste évidemment de retrouver Simon mais, quel que soit le dénouement de cette triste histoire, soyez sûr que votre camouflage va voler en éclats.
- Et alors ?
- Eh bien, au cas où je doive effectivement vous relâcher... Je sais que vous n’avez pas fini vos « recherches » et que d’autres jeunes gens sont sur votre liste.
- Quel fantasme ! Vous comptez sur moi pour résoudre des affaires où vous avez échoué. Mais vous allez vous perdre. Je ne me laisserai pas accuser de tout et n’importe quoi pour vous faire plaisir.
- Peut-être. En tout cas, comme je vous l’ai dit, il vaudrait mieux pour vous que Simon réapparaisse vite et en bonne santé.
- Je souhaite évidemment parler à mon avocat. »