Vendredi après-midi, Pinter Zymot interroge à nouveau Michael.

                           En fait, Pinter Zymot avait pris la peine de faire prévenir la mère de Michael pour être sûr qu’il « n’oublie pas » de se présenter au poste de police.
Elle était rentrée l’attendre et lui préparer à manger.
« - J’aurais quand même préféré que ce soit toi qui me préviennes.
- Excuse-moi, je voulais passer te prévenir directement au salon plutôt que par téléphone.
- Oui mais à quelle heure... Qu’est-ce qu’ils te veulent ?
- Rien, j’étais juste là au moment où ils ont arrêté Bertrand Pratzen.
- Qui ça ?
- Ben le type qu’ils cherchaient chez Kitty. Celui dont ils faisaient passer le portrait. Le suspect.
- J’espère qu’ils vont le faire parler rapidement... Allez, mange. On partira juste après. »
Mentir un peu. Agir. Maîtriser un peu les événements. Ne pas subir. Il était 12h18.

                    Michael et sa mère se présentèrent au commissariat un peu avant 13 heures.
Ils patientèrent en silence jusqu’à 14h35. Puis sa mère commença à insister auprès de l’agent d’accueil.
Pinter Zymot les installa dans son bureau à 15h06 avant de ressortir. L’enregistrement de l’interrogatoire put commencer à 15h24.
« - Bonjour Madame. Michael. Excusez-moi mais il se passe énormément de choses et le temps passe très vite.
- Vous ne savez toujours pas où est Simon ?
- Non, le suspect n’a rien à dire et je n’ai pas le droit de... l’obliger. Alors on essaie de fouiller le plus loin possible les pistes indirectes. Donc j’aimerais que votre fils me raconte dans quelles conditions exactes il a rencontré Bertrand Pratzen. C’était hier, n’est-ce pas ?
- Mais comment pouvez-vous affirmer qu’il avait déjà rencontré votre suspect ?
- C’est mon chien qui me l’a dit.
- Quoi ?
- Excusez-moi, je vais m’expliquer. Bertrand Pratzen est quelqu’un de très prudent. Il ne laisse aucune trace de type informatique ou électronique qui permette de le suivre ou de le localiser. Alors nous avons utilisé autre chose, une méthode à laquelle il ne s’attendait probablement pas. Nous avons placé sur lui un marqueur chimique odorant.
- C’est-à-dire ?
- C’est-à-dire une substance que des chiens spécialisés peuvent assez facilement sentir et repérer. Nous avons lâché quelques-uns de ces chiens en ville, ce qui a obligé Pratzen à se déplacer en permanence. C’est comme cela que nous sommes arrivés jusqu’à la maison de tes deux camarades Betty et Kitty. Nos analyses ont confirmé que Pratzen a passé la nuit de mardi là-bas en compagnie de Simon. Mais ils n’y sont pas retournés car ils ont sans doute su que nous y étions venus.
- Et en ce qui concerne Michael ?
- Le produit que nous utilisons est très discret mais il peut se déposer sur certaines surfaces touchées par le suspect. Une main transpirante par exemple.
- Je crois que j’ai compris.
- Pas moi. Tais-toi s’il te plait.
- Eh bien, madame, j’ai avec moi un rapport indiquant que, hier matin, notre chien n°3, prénommé Fix, est resté un long moment aux côtés de votre fils.
- Il me léchait tout le temps la main...
- La main droite. Je vous passe les autres détails mais je pense que tu as serré la main de Bertrand Pratzen hier matin. Le chien devait être dans les parages et ton odeur a détourné son attention. Etonnant, non ? Ne te renifle pas tu ne sentiras rien mais, pour un chien, ta main doit avoir une odeur proche du jus d’orange. Rassure-toi, ça va passer d’ici deux ou trois jours.
- Et vous saviez que j’avais reçu un message hier soir ?
- Depuis hier matin nous savions que nous avions tout intérêt à te surveiller. Un appel de ta part m’aurait vraiment fait plaisir.
- Donc tu l’avais vraiment rencontré et... tu n’as rien dit ?
- Maintenant que tu sais que nous le savons, il vaudrait mieux que tu nous expliques tout. Je ne te crois pas complice de Bertrand Pratzen mais tu nous as déjà fait perdre du temps. »

                      Michael décida de commencer par le début. Il raconta les détails de ses expériences avec Simon. Y compris les rêves survenus depuis sa disparition. Il « oublia » simplement de mentionner le rêve de Kitty entre la croix et le hibou.
Il racontait tout et Pinter Zymot l’écoutait avec la plus grande attention. Sans l’interrompre sauf pour demander des précisions.
« Donc, selon toi, Simon agissait de son plein gré. »
« Il ne t’a rien dit d’autre, dans ce rêve, à propos de Bertrand Pratzen ? »
La montagne. La prairie. Le volcan. Tout sauf Kitty.
Il parlait. Il savait que sa mère l’écoutait. Il préférait ne pas regarder vers elle.
Puis il en vint à Bertrand Pratzen. Leur rencontre surprise du jeudi matin. Leur conversation. Puis le rendez-vous du lendemain.
Il montra le message reçu sur son téléphone portable et indiqua même que le numéro affiché était celui de Simon. Mais il ne fit aucune allusion au message reçu par Betty.
Michael s’exprimait avec une clarté et une aisance qui le surprenaient lui-même. Tout ce qui s’était passé depuis trois jours lui semblait clair. Le policier l’écoutait. Sa mère aussi.
Agir. Ne pas attendre. Ne pas subir.
Tout était clair, il n’y eut donc pas beaucoup de questions. Il était presque 17h.
« - Bon, si tu n’as rien à rajouter, il n’y a pas de raison de vous retenir plus longtemps ici.
- Il peut repartir libre ?
- Oui, dans la mesure où je ne le soupçonne pas de complicité et dans la mesure où il peut encore m’être utile.
- Comment ?
- Parmi toutes les hypothèses possibles, on peut envisager que Simon reprenne contact avec toi pour te demander de l’aide. Si c’était le cas, il voudrait que tu n’en parles à personne. Tu lui dirais oui et ensuite... Tu comprends ?
- Oui, bien sûr. Vous pensez vraiment que Bertrand Pratzen est dangereux.
- J’en suis convaincu, Michael. Pratzen cherche des jeunes gens qui acceptent de suivre ses expériences quitte à prendre des risques. J’ai établi une liste d’au moins douze garçons et filles disparus qui auraient pu être en contact avec lui sous divers pseudonymes. Je ne me suis pas occupé personnellement de ces cas mais les dossiers d’enquête m’ont permis des recoupements à son sujet qui me semblent plus que suspects.
- Et il en aurait tué beaucoup ?
- Pas exactement... En fait, sur les douze disparus que j’ai regroupés, tous sont réapparus mais quatre se sont suicidés peu de temps après. Bertrand Pratzen n’est peut-être pas un meurtrier mais c’est évident qu’il est un dangereux manipulateur. Tu comprends ? Tes histoires de rêves m’intéressent car j’ai besoin de savoir ce qui se passe dans la tête de ceux qui suivent Bertrand Pratzen. Pour comprendre et essayer d’éviter le pire.
- Vous auriez dû m’expliquer ça plus tôt.
- Mais je suis un peu comme toi, Michael. Si je dis tout trop vite, j’ai peur que certaines personnes n’aient pas envie de me croire... Je suis content que ta mère ait pu assister à notre conversation : tu as dit des choses difficiles à entendre mais tu as pris le temps de les expliquer et je pense qu’elle a compris que ta situation était compliquée. Voilà, je dois vous laisser. Je vous demande simplement de ne pas quitter la ville au moins pour ce week-end et j’espère avoir bientôt de bonnes nouvelles à vous transmettre. Fin de l’enregistrement. 17h01... Au revoir.
- Au revoir.
- Excusez-moi de vous retenir un peu plus mais vous y croyez, vous, à cette histoire de monde des rêves.
- Pour l’instant, je m’intéresse surtout à ce que croient les adolescents que je recherche. Pour le reste, je verrai plus tard. Mais, surtout, n’hésitez pas à en reparler avec votre fils. Ne le laissez pas s’enfermer tout seul là-dedans. Au revoir, madame. »

 

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